Article Fabien Ribéry

in lintervalle.blog 4 avril 2025

« Ephémères / Un reflet / Une bille de roulement à billes / Un puits / Deux sources / Une grille nid d’abeille / Une cage / Une main image mouvante » (Patrice Blouin)

Le monde se défait, il faut le reconstituer, ou le détruire encore mieux, plus radicalement, plus savamment encore.

Pierre Antoine a choisi avec L’Etat des choses, alors que tout se dérobe et se métamorphose, en tentant malgré tout de persister dans son être, la voie de la poésie des formes et des matières, de l’étrangeté, de la drôlerie, de la merveille.

Le titre de ce livre publié aux éditions Loco évoque le film éponyme de Wim Wenders (1982), dont l’incipit montre les plans d’une œuvre de science-fiction en cours de réalisation.

Qu’est-ce que le réel, se demande l’artiste, par ailleurs maître de conférence à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles ?

Le nouveau d’instant en instant, l’inédit absolu, une roche de bord de mer évidée, une fumée celte, olympienne ou japonaise, la rencontre du troisième type entre une structure métallique et un sol d’aspect lunaire.

L’Etat des choses est une partition musicale, un livre opératique, symphonie de la création, leçons de ténèbres ou oratorio – les images sont en noir & blanc, apparition de la vie sur densité de néant.

C’est aussi un memento mori, parsemé de pages jaunes soleil sur lesquelles Patrice Blouin a inscrit quelques vers construits selon la logique d’un nominalisme intégral : « Du goudron et un signe / Mousse / Des chiffres, un nombre / Tige d’aluminium et verre brisé / Lentille Fresnel et pince / Une jambe / De l’eau et du carton »

Les motifs reviennent, se répètent, insistent : variations dans l’éternel retour du même.

Vapeur d’eau en geyser, voluptés aqueuses, esquisses de présences humaines, jeux d’ombres, mystères d’objets installés comme des bouts de maquettes / dessins d’enfant façon Jean Dubuffet.

En ses signes colligés, ses traces formant fragments de cosmos, Pierre Antoine nous fait pénétrer dans l’énigme de l’existant.

Nous voyons si peu, l’art est puissance de dévoilement, nous habitons un monde inconnu.

L’Etat des choses n’est pas un inventaire à la façon des Lilliputiens fouillant les poches de Gulliver pour en découvrir des objets dont ils ne connaissent pas l’emploi, mais une entrée dans la poétique du vivant en ses lois secrètes – surréalité fascinante du quotidien.

En isolant des éléments sur la page comme des morceaux de constellations, Pierre Antoine se souvient d’August Sander sans oublier Jacques-André Boiffard, ni l’imagerie scientifique se mêlant à la substance même de nos rêves.  

Pierre Antoine, L’Etat des choses, direction éditoriale Eric Cez, texte Patrice Blouin, Editions Loco, 2025, 112 pages – 500 exemplaires